PFAS en Lorraine : ces installations industrielles qui polluent l’eau
- Céline MOGUEN
- 15 juil.
- 5 min de lecture
La semaine dernière, plusieurs habitants de Meuse et des Ardennes ont appris que l’eau du robinet qu’ils consomment depuis toujours atteint des records de pollution aux PFAS !
En cause selon la préfecture, une pollution qui "pourrait être liée à l’épandage, sur des parcelles agricoles situées à proximité des captages d’eau potable, de boues papetières susceptibles de contenir des PFAS. Cette origine reste à confirmer et des travaux d’investigation complémentaires sont en cours."
La papèterie de Stenay est pointée du doigt. Symbole du patrimoine industriel local, la société appartenant au groupe finlandais Ahlstrom Munksjo, a fait l’objet d’une liquidation judiciaire en fin d’année dernière.
Si Le secteur de la papèterie est connu pour être un utilisateur de PFAS, ce n’est pas le seul, loin s’en faut. Bien d’autres industries rejettent en effet en masse toutes sortes de PFAS. Les données déclaratives des industriels sont actuellement en train d’être recueillies par la DREAL. L’ARS de son côté, est en train de réaliser la vérification de tous les points d’alimentation en eau potable. Environ la moitié du territoire aurait été vérifié. Nous ne sommes donc pas à l’abri de la découverte d’autres points de pollution avérés …

Les rejets industriels de PFAS en Lorraine
En Lorraine, plusieurs sites industriels classés (ICPE) rejettent dans l’environnement ces « polluants éternels ». Une pollution méconnue mais persistante, dont les effets sur la santé et l’environnement inquiètent.
Ils sont invisibles, persistants, et potentiellement dangereux dès de très faibles doses. Les PFAS – substances per- et polyfluoroalkylées – sont aujourd’hui partout : dans les mousses antiincendie, les textiles, les emballages alimentaires, mais aussi… dans nos rivières et nappes phréatiques.
En Lorraine, cette pollution est notamment causée par certaines industries classées ICPE (Installations Classées pour la Protection de l’Environnement), autorisées à rejeter ces substances dans leurs eaux usées, souvent sans limitation claire.
Une pollution industrielle mal encadrée
Un arrêté national de juin 2023 a imposé pour la première fois aux ICPE de mesurer leurs rejets de 20 types de PFAS, ainsi que le fluor organique total (AOF). Mais cette avancée reste timide : les ICPE peuvent continuer à rejeter des PFAS, y compris à des niveaux très élevés, car seules quelques molécules (comme le PFOS) sont encadrées par une valeur limite (25 microgrammes/litre).
La Lorraine concernée par plusieurs sites émetteurs
En 2024, selon les données compilées par Générations Futures, près de 16 sites industriels figureraient parmi les 146 sites français les plus émetteurs de PFAS.
Parmi eux, des entreprises spécialisées dans le traitement de surface, la fabrication de tissu ou de pâte à papier pour briques alimentaires ou encore la gestion de déchets dangereux.
Comme indiqué par la DREAL, les données transmises par les industriels sont à prendre avec quelques pincettes car il s’agit de données déclaratives. On constate d’ailleurs que certaines données ne sont pas complètes. La société NOVACARB à Laneuvillle-devant-Nancy par exemple, fait état de quantités importantes (1495 g/jour) en amont dans les eaux superficielles de la Meurthe, mais ne renseigne pas la quantité totale de ses rejets de PFAS en aval.
En Meurthe-et-Moselle, outre NOVACARB, l’industriel SOLVAY à Dombasle-sur-Meurthe détient la palme de rejets en milieu naturel avec 1718,14 g/jour.
En Moselle, plusieurs industriels dont KATOEN LOGIFARE à Seingbouse et CEDILOR à Amnéville figurent dans le top 3.
En Meuse, la société ANTOINE EST basée à Verdun, spécialisée en installation de lavage intérieur de citernes routières ayant contenu tout type de produits chimiques minéral ou alimentaire, rejette de grandes quantités de PFAS dans la station d’épuration urbaine (or ces stations sont rarement équipées pour fileter les PFAS).
Enfin dans les Vosges, ce sont les sociétés PELTEX INDUSTRIE à Sainte-Marguerite, MAILLE VERTE VOSGIENNE à Saint-Nabord et LUCART SAS à Laval-sur-Vologne qui rejettent soit en milieu naturel, soit en en station d’épuration urbaine à eux trois un total de 1804 g/jour d’AOF (un indicateur qui donne une estimation de la quantité de fluor organique émise)
Quels risques pour la santé et l’environnement ?
Les PFAS sont connus pour leur extrême persistance dans l’environnement – d’où leur surnom de « polluants éternels ». Une fois relâchés dans l’eau ou les sols, ils peuvent s’accumuler dans les organismes vivants. Certaines molécules de cette famille sont reprotoxiques, perturbateurs endocriniens, et cancérigènes suspectés.
Ces substances peuvent contaminer la chaîne alimentaire, notamment via l’eau, les légumes irrigués ou les animaux. Les PFAS ont été retrouvés dans le lait maternel, le sang, et même l’air intérieur.
Les rejets des industriels en station d’épuration urbaine ne protègent en rien de la contamination aux PFAS car comme indiqué plus haut, ces stations ne sont pas équipées pour les filtrer. Par conséquents, les boues de ces stations qui sont par la suite épandues sur les champs sont nécessairement contaminés.
Des réponses encore timides
Face à cette pollution, les pouvoirs publics commencent à réagir. L’ARS Grand Est a récemment renforcé les contrôles sur l’eau potable. Comme on l’a vu, des campagnes d’analyses obligatoires sont imposées aux industriels mais peu d’entre eux, même s’ils figurent parmi les plus émetteurs de PFAS, semblent faire l’objet d’inspections dédiées de la part de la DREAL.
Selon nous, des investigations supplémentaires plus poussées, incluant la recherche de TFA (un PFAS particulièrement dangereux et répandu mais dont la recherche n’est pas obligatoire) devraient pourtant dès à présent être imposées par les préfectures aux industriels les plus émetteurs.
D’après nos recherches sur le site Géorisques, seul un arrêté préfectoral publié le 19 juin 2025 impose à la société KATOEN LOGIFARE des mesures d’analyse de PFAS. Pire, suite à une inspection des rejets de la société PELTEX par les services de la DREAL et malgré des valeur AOF très élevées, il a été recommandé au préfet de … ne pas donner de suite.
Principe pollueur-payeur
Autre sujet d’interrogation annexe : la société ARKEMA (57) a obtenu en 2024 une subvention publique à hauteur de 25.000 euros afin d’effectuer des recherches de PFAS. Au regard du principe pollueur-payeur, on comprend mal pourquoi ce coût devrait être porté par la collectivité.
De plus, si la Directive Eaux Résiduaires Urbaines (DERU) du 21 décembre 2024 inclue une analyse obligatoire de certains PFAS dans les eaux des systèmes d’épuration publics, elle intègre la possibilité d’impliquer les producteurs de PFAS à la Responsabilité Elargie des Producteurs d’ici … fin 2033 voire fin 2040 !
Un enjeu de santé publique et de justice environnementale
La pollution aux PFAS révèle une réalité très préoccupante : certains industriels continuent de rejeter des substances nocives dans l’environnement. Depuis combien de temps l’Etat et les industriels connaissent-ils les conséquences de ces rejets sur la santé publique ?
Face à cela, la mobilisation citoyenne et associative est essentielle pour faire bouger les lignes.
En tant que Sentinelles de la nature, nous avons un rôle à jouer pour identifier, signaler, et dénoncer les pollutions invisibles comme celles liées aux PFAS. En Lorraine, le combat ne fait que commencer.